Maintenir la paix tout en renforçant la résilience climatique : Leçons de la République centrafricaine

Entretien avec Mariam Amoudou Sidi, point focal Genre et Changements Climatiques de l’équipe de PNA de la RCA et Chargée des Etudes en matière d’Adaptation aux changements Climatiques à la Coordination Nationale Climat au ministère de l’Environnement et du Développement durable

La République centrafricaine (RCA) a connu son lot d’instabilité et de conflits chroniques. Des années de violence ont atteint leur paroxysme avec le déclenchement d’une guerre civile en 2013 ; dans le conflit qui a suivi entre les forces gouvernementales et des groupes armés non étatiques, des milliers de personnes ont perdus la vie et un tiers de la population a été déplacée.

Une paix fragile a été établie en 2016, et après les élections présidentielles et législatives, une transition politique a débuté, renforçant peu à peu les capacités et la stabilité au sein du gouvernement. Pour que les progrès en matière de consolidation de la paix se poursuivent, les parties prenantes doivent œuvrer pour faire face aux principaux risques de conflit et vulnérabilités, y compris les effets néfastes des changements climatiques qui peuvent porter atteinte aux moyens de subsistance, menacer la sécurité alimentaire, limiter les ressources et détruire les habitations.

« Bien que ce ne soit pas une tâche facile, l’intégration des considérations relatives à l’adaptation aux changements climatiques dans les plans de consolidation de la paix et dans les programmes de développement après les conflits est indispensable à leur viabilité à long terme » indique Alec Crawford, Directeur, Nature pour la résilience, à l’Institut international du développement durable (IISD).

Intégration de la gestion des conflits et planification en vue d’atténuer les répercussions des changements climatiques 
Camp for Internally Displaced in Bangassou, Central African Republic
Camp pour personnes déplacées à l’intérieur du pays « Site du Petit Séminaire St. Pierre Claver » dans la ville de Bangassou : Un tiers de la population a été déplacé suite à la guerre civile. (UN Photo/Eskinder Debebe)

Les chantiers auxquelles le gouvernement de la RCA s’attaque sont nombreux. En plus de ses efforts visant la réconciliation et la consolidation de la paix au niveau national, et tout en se préparant aux changements climatiques, le gouvernement doit également restaurer les importants secteurs économiques endommagés par des conflits armés, notamment les secteurs agricoles, sylvicoles et miniers. Le processus des plans nationaux d’adaptation (PNA) peut contribuer à la restauration de ces secteurs critiques et au renforcement de leur résilience aux effets des changements climatiques, et ce tout en gérant les risques de reprise des conflits. 

En 2022, le gouvernement a officiellement publié le premier document de PNA du pays, qui a été élaboré avec le soutien du Programme d’appui global conjoint PNUD-PNUE au PNA. Le PNA définit une vision du renforcement de la gouvernance, du renforcement des capacités, de la gestion des connaissances et des données et de la mobilisation des financements pour l’adaptation, entre autres. La RCA a également élaboré une analyse en vue de l’intégration dans le processus de PNA des considérations relatives au genre dans le cadre de la Politique Nationale de Promotion de l’Égalité et de l’Équité en RCA. 

En tant que point focal Genre et Changements Climatiques de l’équipe de PNA de la RCA et Chargée des Etudes en matière d’Adaptation aux changements Climatiques à la Coordination Nationale Climat au ministère de l’Environnement et du Développement durable, Mariam Amoudou Sidi a fourni des éclairages supplémentaires concernant le processus de PNA de la RCA et ses liens avec les activités de consolidation de la paix au niveau national.

Lors de l’élaboration du plan national d’adaptation de la RCA, avez-vous abordé la question des conflits et de la fragilité ? Si oui, comment ?

Les conflits trouvent leurs sources dans les conditions de vie intolérables des populations, qui sont elles-mêmes le résultat d’une répartition inégale et inéquitable des ressources dont disposent (et manquent souvent) la plupart des pays de la sous-région. Dans la mesure où les changements climatiques menacent nos ressources naturelles, il est crucial de s’adapter à leurs répercussions afin de prévenir les conflits futurs et ne pas aggraver les tensions actuelles.

Les problèmes de développement risquent alors de s’amplifier si les autorités ne font pas d’efforts pour intégrer la consolidation de la paix et l’adaptation à leur propre niveau de gouvernance. L’élaboration du PNA comprend des activités de collecte de données auprès des autorités locales, de la population, et des secteurs économiques clés, ce processus d’élaboration ayant pris place à Mbaïki dans la Lobaye. Au départ, nous avons constaté que les difficultés se trouvent dans la mobilisation des services et organisations sectorielles, car dans leurs politiques et stratégies ils n’ont pas pris en compte les changements climatiques, et encore moins l’adaptation. Après plusieurs séances de travail, réunions et initiatives de sensibilisation, ils se sont rendu compte que les changements climatiques restent un défi à relever car ils constituent une menace pour le développement et l’élimination de la pauvreté dans l’ensemble des secteurs et communautés.

Mariam Amoudou Sidi, Gender and Climate Change Focal Point for CAR’s NAP team
Mariam Amoudou Sidi
Le gouvernement a-t-il pris en compte le conflit et la fragilité dans ses processus de PNA de manière générale ? Si oui, comment ?   

Nous faisons des efforts pour créer une synergie entre la consolidation de la paix et l’adaptation aux changements climatiques. La vision de développement de la RCA est définie dans le Plan National de Relèvement et de Consolidation de la Paix en Centrafrique (RCPCA) et dans les stratégies sectorielles de développement en conformité avec les ODD. Plusieurs objectifs transversaux avec le PNA ont aussi été jugés indispensables pour traiter les facteurs de fragilité, de conflit et de violence:

  • Atténuer les déséquilibres régionaux et promouvoir l’égalité des genres
  • Renforcer la transparence et la redevabilité à tous les échelons
  • Accroître les capacités nationales (fonction publique et société civile)
  • Promouvoir l’inclusion des jeunes
  • Garantir la viabilité de l’environnement et l’exploitation durable des ressources naturelles
Quel est le plus grand défi de la RCA aujourd’hui dans le développement et la mise en œuvre de son PNA ?

Le financement. Les activités d’adaptation n’ayant pas été incluses dans la loi des finances du gouvernement, nous comptons alors sur les donateurs et les organisations internationales pour nous aider, comme par exemple le Réseau mondial de PNA. Aujourd’hui, cela reste notre cheval de bataille.

Ex-combatants farm in a UN Disarmament, Demobilization and Reintegration project
Des anciens combattants cultivent pour un projet de réintégration des Nations unies. (UN Photo)
Quelles orientations offririez-vous à des futurs collègues travaillant sur le processus de PNA pour développer et mettre en œuvre l’adaptation dans les États fragiles et touchés par un conflit ?

Le concept de l’adaptation doit à tout prix être intégré dans l’ensemble de nos programmes, projets et documents politiques. Nous proposons de faire un dialogue de haut niveau sur l’adaptation afin de faire passer le message comme quoi l’adaptation aux changements climatiques est l’une des solutions durables aux conflits. 

Nous proposons de faire un dialogue de haut niveau sur l’adaptation afin de faire passer le message comme quoi l’adaptation aux changements climatiques est l’une des solutions durables aux conflits. 

 

Comme pour tous les processus de PNA qui se déroulent dans des zones touchées par un conflit, nous devons impliquer toutes les couches sociales dans les prises de décision, éviter les inégalités, interdire la marginalisation des populations minoritaires, prendre en compte la dimension du genre, et mener des activités permettant de soutenir les vies et les moyens d’existence des populations affectées par la crise politico-militaire. Toutes les parties prenantes (les femmes, les organisations de la société civile, les institutions nationales, etc.) doivent s’approprier le PNA.

Il nous faut beaucoup de sensibilisation pour changer les mentalités. Par exemple, nous pouvons mobiliser les jeunes à faire de l’agriculture au lieu de tenir des armes. Nous allons mettre en place une politique de scolarisation massive des jeunes et sensibiliser les agriculteurs et éleveurs pour qu’ensemble ils se solidarisent pour faire face aux impacts climatiques et pour la consolidation de la paix. 

Orientations prochaines relatives aux PNA et visant à soutenir les États fragiles

En complément des leçons apprises et des expériences partagées par des points focaux de PNA issus d’autres États fragiles, les éclairages apportés par Mariam Amoudou Sidi concernant le processus de PNA de la RCA et les efforts connexes de consolidation de la paix seront intégrés dans un document d’orientation plus général qui sera élaboré par le Secrétariat du Réseau mondial de PNA. 

Ces orientations soutiendront les États fragiles dans la planification et la mise en œuvre d’activités d’adaptation permettant à la fois de pallier les vulnérabilités climatiques et d’appuyer les objectifs nationaux de consolidation de la paix. Elles seront bientôt ajoutées à la bibliothèque de ressources du Réseau mondial de PNA. 

Participants of Pre-DDRR Pilot Project in Central African Republic
Mobiliser les jeunes pour qu’ils s’adonnent à l’agriculture plutôt qu’aux armes est un objectif clé tant pour l’adaptation que pour la consolidation de la paix. On le voit ici avec des anciens combattants en route pour participer à un projet pilote des Nations unies sur le désarmement, la démobilisation, la réhabilitation et la réintégration. (UN Photo/Herve Serefio)
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